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INTRODUCTION
La déviation de la lumière par un trou noir de Kerr, c’est-à-dire dans un champ gravitationnel à symétrie axiale créé par un trou noir non chargé électriquement en rotation sur lui-même, est un phénomène prédit par la relativité générale (métrique de Kerr).
Cette métrique généralise celle de la symétrie sphérique d’un trou noir stationnaire (métrique de Schwarzschild).
Se reporter à l’annexe pour le détail des calculs et des compléments.
Note : afin d’éviter toute confusion, la simplification d’écriture \(c=G=1\) n’est pas utilisée dans le présent document et toutes les équations sont écrites explicitement.
RELATIVITÉ GÉNÉRALE – MÉTRIQUE DE KERR
Un déplacement élémentaire du photon est un vecteur de genre lumière et son produit scalaire est nul1 (appellation anglaise « null geodesics » pour les trajectoires des photons).
En considérant que le champ gravitationnel est à symétrie axiale et en appliquant la métrique de Kerr (voir ses limites en conclusion), le produit scalaire du déplacement élémentaire \(\overrightarrow{ds}\) \((cdt, dr, d\theta, d\varphi)\) en coordonnées de Boyer-Lindquist s’écrit :
\(ds^2=-\left(1-\frac{2GM}{c^2\Sigma}\right)c^2dt^2-\frac{4GMar\sin^2{\theta}}{c^2\Sigma}cdtd\varphi+\frac{\Sigma}{\Delta}dr^2+\Sigma d\theta^2\)
\(+\left(r^2+a^2+\frac{2GMa^2r\sin^2{\theta}}{c^2\Sigma}\right)\sin^2{\theta}d\varphi^2=0\)2,
avec \(G\) constante gravitationnelle, \(c\) vitesse de la lumière dans le vide), \(M\) masse du trou noir, \(a=\frac{J}{cM}\) avec \(J\) moment cinétique de rotation propre du trou noir, \(\Delta=r^2-\frac{2GM}{c^2}r+a^2\) et \(Σ=r^2+a^2\cos^2{\theta}\).
Les coefficients de la métrique sont indépendants de \(t\) et de \(\varphi\) : la géométrie de l’espace-temps de Kerr est donc stationnaire et à symétrie axiale.
Note : dans la région asymptotique \(r \gg \frac{2GM}{c^2}\), la coordonnée radiale \(r\) s’interprète comme la distance physique entre le photon et le centre du trou noir.
Équations paramétriques du mouvement
La conservation de l’énergie \(\varepsilon\), de la composante \(l_z\) du moment cinétique sur l’axe de rotation du trou noir et de la constante de Carter \(Q\) permettent d’obtenir les quatre équations paramétriques du mouvement du photon et de calculer la déviation de la lumière par les trous noirs de Kerr :
\(\left(\frac{dr}{d\lambda}\right)^2=\left(\left(r^2+a^2-ac\frac{l_z}{\varepsilon}\right)^2-\Delta\left(\left(a-c\frac{l_z}{\varepsilon}\right)^2+c^2\frac{Q}{\varepsilon^2}\right)\right)\frac{\varepsilon^2}{ c^2\Sigma^2}\),
\(\left(\frac{d\theta}{d\lambda}\right)^2=\left(c^2\frac{Q}{\varepsilon^2}+\cos^2\theta\left(a^2-c^2\frac{l_z^2}{\varepsilon^2\sin^2\theta}\right)\right)\frac{\varepsilon^2}{ c^2\Sigma^2}\),
\(\frac{d\varphi}{d\lambda}=\left(2mar+(\Sigma-2mr)c\frac{l_z}{\varepsilon\sin^2\theta}\right)\frac{\varepsilon}{c\Delta\Sigma}\),
\(\frac{dct}{d\lambda}=\left((r^2+a^2)^2-\Delta a^2\sin^2\theta-2mar\ c\frac{l_z}{\varepsilon}\right)\frac{\varepsilon}{c\Delta\Sigma}\),
avec \(r\) coordonnée radiale, \(\theta\) colatitude, \(\varphi\) longitude, \(t\) temps mesuré par un observateur statique, \(\lambda\) un paramètre affine et \(m=\frac{GM}{c^2}\) homogène au mètre.
Il est à noter que le système de coordonnées est indéfini aux pôles \(\theta=0\) et \(\theta=\pi\).
Dans la suite, la valeur \(R_s=2m\) et les valeurs sans dimension \(\bar{r}=\frac{r}{m}\) et paramètre de Kerr \(\bar{a}=\frac{a}{m}\) sont utilisées.
\(\)
Convention utilisée pour \(\bar{a}\ne 0\) : l’axe \(z\) est l’axe de rotation du trou noir. Pour \(\bar{a}>0\), le sens de rotation du trou noir est trigonométrique et pour \(\bar{a}<0\), son sens de rotation est horaire.
Il est supposé que \(|\bar{a}|\) est compris entre \(0\) et \(1\), bornes incluses, sauf pour l’espace-temps de Kerr rapide décrit brièvement avant la conclusion.
Trajectoires des photons
Dans le cas général, les trajectoires des photons à proximité d’un trou noir en rotation peuvent être obtenues par intégration de chacune des 4 équations paramétriques suivant le paramètre affine \(\lambda\).
Les valeurs initiales à prendre en compte sont \(r_0\), \(\theta_0\), \(\varphi_0\), \(t_0\), et les signes de \(\frac{dr}{d\lambda}_0\) et \(\frac{d\theta}{d\lambda}_0\).
La trajectoire du photon est entièrement déterminée par les constantes \(M\), \(a\), \(\frac{l_z}{\varepsilon}\) et \(\frac{Q}{\varepsilon^2}\).
Pour une valeur donnée de \(\frac{l_z}{\varepsilon}\), il existe une valeur critique \(\frac{Q_{crit}}{\varepsilon^2}\) :
– si \(\frac{Q}{\varepsilon^2}>\frac{Q_{crit}}{\varepsilon^2}\) le photon arrivant de l’\(\infty\) sera dévié par le trou noir et continuera vers l’\(\infty\),
– si \(\frac{Q}{\varepsilon^2}<\frac{Q_{crit}}{\varepsilon^2}\) le photon arrivant de l’\(\infty\) sera absorbé par le trou noir,
– si \(\frac{Q}{\varepsilon^2}=\frac{Q_{crit}}{\varepsilon^2}\) le photon arrivant de l’\(\infty\) sera capturé par le trou noir sur une orbite.
Orbites de photons
Une coordonnée radiale \(r\) constante s’obtient en annulant le potentiel de la première équation paramétrique et sa dérivée par rapport à \(r\), ce qui entraîne après calcul que \(\bar{r}\) est une racine du polynôme
\(q(\bar{r})=\bar{r}^5-3\bar{r}^4+2\bar{a}^2\bar{r}^3\sin^2i-2\bar{a}^2\bar{r}^2+\bar{a}^4\bar{r}\sin^2i+\bar{a}^4\sin^2i\)
\(+2\bar{a}\bar{r}\cos i\sqrt{3\bar{r}^4+(1-3\sin^2i)\bar{a}^2\bar{r}^2-\bar{a}^4\sin^2i}\),
\(i\) étant l’angle constant d’inclinaison du moment cinétique \(\overrightarrow{l}\) par rapport à l’axe de rotation du trou noir.
Pour \(m\), \(a\) et \(i\) donnés, il existe au moins une racine réelle \(\bar{r}\) comprise entre 0 et 4 donnant une orbite du photon.
Si \(i\in[0,\pi/2[\), l’orbite est prograde (même sens de rotation que celui du trou noir) et si \(i\in ]\pi/2,\pi]\), l’orbite est rétrograde (sens de rotation opposé à celui du trou noir).
Les racines du polynôme \(q(\bar{r})\) sont difficilement calculables analytiquement exceptés dans les cas suivants :
– orbite polaire (\(\sin^2i=1\)) \(\Rightarrow\bar{r}_{polaire}=1+2\sqrt{1-\frac{\bar{a}^2}{3}}\cos\left(\frac{1}{3}\arccos\left(\frac{1-\bar{a}^2}{\left(1-\frac{\bar{a}^2}{3}\right)^\frac{3}{2}}\right)\right)\),
– orbite équatoriale prograde (\(\cos i=1\)) \(\Rightarrow\bar{r}_{prograde}=2\left (1+\cos\left (\frac{2}{3}\arccos\left(-\bar{a}\right)\right)\right)\),
– orbite équatoriale rétrograde (\(\cos i=-1\))\(\Rightarrow\bar{r}_{rétrograde}=2\left (1+\cos\left (\frac{2}{3}\arccos\left(\bar{a}\right)\right)\right)\).
Note : pour \(\bar{a}=0\), les formules ci-dessus conduisent au cas particulier de la métrique de Schwarzschild \(\Rightarrow\bar{r}_{polaire}=\bar{r}_{prograde}=\bar{r}_{rétrograde}=3\) soit \(r=3m=\frac{3}{2}R_s\) avec \(R_s=\frac{2GM}{c^2}\).
Généralités
Chacune des orbites est définie par sa valeur de coordonnée radiale sans dimension \(\bar{r}_c\) constante et par l’inclinaison \(i\) constante du moment cinétique \(\overrightarrow{l}\) du photon, associée à cette valeur.
Il existe donc une infinité de « sphères » de photons, avec une coordonnée radiale sans dimension \(\bar{r}_c\in[0,4]\), la borne 4 étant atteinte pour \(|\bar{a}|=1\).
De plus, la forme géométrique de chaque orbite n’est pas véritablement une sphère mais un ellipsoïde de rayon \(\sqrt{r_c^2+a^2}\sin\theta\) (en coordonnées cartésiennes de Boyer-Lindquist) et de colatitude \(\theta\) comprise entre une valeur \(\theta_{lim}\) et une valeur \(\pi-\theta_{lim}\), fonction de \(\bar{a},\bar{r}_c\) et \(\sin^2i\).
Équations paramétriques
Avec \(l_z=l\cos i\), \(Q=l^2\sin^2i\) et en définissant le paramètre d’impact \(b_{crit}=c\frac{l}{\varepsilon}\), les équations de la trajectoire sont :
\(r=r_c\),
avec les 3 équations paramétriques qui deviennent :
\(\left(\frac{d\theta}{d\lambda}\right)^2=\left(b_{crit}^2\left(1-\frac{\cos^2i}{\sin^2\theta}\right)+a^2\cos^2\theta\right)\frac{\varepsilon^2}{\Sigma^2 c^2}\),
\(\frac{d\varphi}{d\lambda}=\left(2mar_c+\left(\Sigma-2mr_c\right)b_{crit}\frac{\cos i}{\sin^2\theta}\right)\frac{\varepsilon}{\Delta\Sigma c}\), et
\(\frac{cdt}{d\lambda}=\left(\left(r_c^2+a^2\right)^2-\Delta a^2 \sin^2\theta-2mar_cb_{crit}\cos i\right)\frac{\varepsilon}{\Delta\Sigma c}\).
La valeur du paramètre d’impact critique peut être donnée par la formule :
\(b_{crit}=m\sqrt{\frac{3\bar{r}_c^4+\bar{a}^2\bar{r}_c^2}{\bar{r}_c^2-\bar{a}^2\sin^2i}}\).
Trajectoires animées
Exemples de trajectoires de photons avec quasi-capture par un trou noir de Kerr extrême
Exemples d’orbites de photons avec différents \(\bar{a}\) et \(\frac{cl_z}{m\varepsilon}\)
DESCRIPTION DES RÉGIONS DES TROUS NOIRS, DES SINGULARITÉS ET DE L’OMBRE
Un trou noir de Kerr possède mathématiquement quatre régions centrées, incluses les unes dans les autres et définies par des hypersurfaces. De la plus grande à la plus petite :
– ergosphère externe \(r_{ergoext}=m (1+\sqrt{1-\bar{a}^2\cos^2\theta})\),
– horizon des évènements \(r_h=m (1+\sqrt{1-\bar{a}^2})\),
– horizon de Cauchy \(r_{Cauchy}=m (1-\sqrt{1-\bar{a}^2})\), et
– ergosphère interne \(r_{ergoint}=m (1-\sqrt{1-\bar{a}^2\cos^2\theta})\).
\(r_{ergoext}\) et \(r_{ergoint}\) sont les racines de l’équation \(\Sigma-2mr=0\) et \(r_h\) et \(r_{Cauchy}\) sont les racines de l’équation \(\Delta=0\).
Pour \(|\bar{a}|\in ]0,1[\), les quatre régions sont distinctes et pour \(|\bar{a}|=1\), l’horizon des évènements et l’horizon de Cauchy sont confondus.
\(\bar{a}=0\) correspond au trou noir de Schwarzschild, où l’ergosphère externe et l’horizon des évènements sont confondus (\(r_{ergoext}=r_h=R_s=2m\)), et où il n’y a pas d’horizon de Cauchy ni d’ergosphère interne.
L’hypersurface qui délimite l’ergosphère externe est une limite de stationnarité ce qui signifie que toute particule – matérielle ou photon – qui la franchit ne peut rester immobile.
Note : une fois entrée dans l’horizon des évènements, une particule peut revenir vers lui mais sans jamais pouvoir le franchir dans l’autre sens.
Existence des régions
Si le corps central est un trou noir de Kerr, il existe physiquement a minima les deux régions définies par l’ergosphère externe et l’horizon des évènements (confondu avec l’horizon de Cauchy pour un trou noir de Kerr extrême).
Les autres régions (définies par l’horizon de Cauchy pour un trou noir non extrême et par l’ergosphère interne) ne peuvent exister que si le corps physique du trou noir
est « contenu » dans celles-ci.
Singularités
Les équations paramétriques vues plus haut montrent qu’une valeur nulle de \(\Delta\) ou de \(\Sigma\) ne permet pas de définir le mouvement du photon.
\(\Delta=r^2-2mr+a^2= 0\) correspond au passage du photon dans l’horizon des évènements ou dans l’horizon de Cauchy : il s’agit d’une simple singularité des coordonnées de Boyer-Lindquist qui généralise la singularité des coordonnées de Schwarzschild en \(r=R_s\)3.
La singularité en \(r\) telle que \(Σ=r^2+a^2\cos^2{\theta}=0\) est une véritable singularité, de même que la singularité en \(r=0\) de la métrique de Schwarzschild4.
Il s’agit du cercle de rayon cartésien \(|a|\) ayant pour centre celui du trou noir et situé dans son plan équatorial. Ce cercle borde l’ergosphère interne.
Image apparente ou ombre
Aucun photon avec un paramètre d’impact inférieur à \(b_{crit}\) ne peut parvenir à un observateur extérieur, ce qui conduit à une « ombre » sans image d’étoile.
Si cet observateur est situé à une grande distance du trou noir et dans son plan équatorial, le contour apparent d’un trou noir de Kerr peut être déterminé par les 2 coordonnées5 :
\(\alpha=-c\frac{l_z}{\varepsilon}\) et \(\beta=\pm c\frac{\sqrt{Q}}{\varepsilon}\) soit :
\(\frac{\alpha}{m}=\frac{\bar{r}_c^3-3\bar{r}_c^2+\bar{a}^2\bar{r}_c+\bar{a}^2}{\bar{a}(\bar{r}_c-1)}\) et \(\frac{\beta}{m}=\pm\sqrt{\frac{-\bar{r}_c^3(\bar{r}_c^3-6\bar{r}_c^2+9\bar{r}_c-4\bar{a}^2)}{\bar{a}^2(\bar{r}_c-1)^2}}\),
avec \(\bar{r}_c\) coordonnées radiales sans dimension des orbites des photons variant entre la valeur \(\bar{r}_{c_{min}}\) et la valeur \(\bar{r}_{c_{max}}\) correspondantes à la valeur de \(\bar{a}\).
Espace-temps de Kerr rapide
Lorsque \(|\bar{a}|>1\), l’espace-temps de Kerr est dit rapide et \(\Delta\) n’a pas de racine donc il n’existe pas d’horizon des évènements ni d’horizon de Cauchy ce qui implique que l’objet massif n’est pas un trou noir. Il possède une singularité nue (cercle de rayon cartésien \(|a|\)) avec des ergosphères externes et internes adjacentes de colatitude \(\in [\arccos{\frac{1}{|\bar{a}|}},\pi-\arccos{\frac{1}{|\bar{a}|}}]\) qui forment une sorte de tore ouvert.
Il s’agit d’un objet mathématique dont l’existence physique est à ce jour improbable.
CONCLUSION
La plupart des objets célestes étant en rotation sur eux-mêmes, la métrique de Kerr à symétrie axiale fournit une représentation absolument exacte d’une quantité innombrable de trous noirs qui peuplent l’univers, la métrique de Schwarzschild étant un cas particulier, obtenu avec un paramètre de Kerr nul.
La structure d’un trou noir en rotation est extrêmement simple : il suffit en effet de deux nombres réels, m et a, pour la décrire entièrement.
La déviation de la lumière par les trous noirs de Kerr et les trajectoires ou les orbites des photons sont précisément calculables avec la métrique de Kerr.
A noter qu’elle ne s’applique pas à une étoile en rotation dont la métrique ne peut pas être décrite par seulement quelques paramètres scalaires, même à l’extérieur de l’étoile. Elle dépend en effet de la distribution de masse et d’impulsion à l’intérieur de l’étoile.
- https://luth.obspm.fr/~luthier/gourgoulhon/fr/master/relatM2.pdf ↩︎
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- https://arxiv.org/pdf/2105.07101 ↩︎