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INTRODUCTION
La déviation de la lumière dans un champ gravitationnel généré par un objet massif est un phénomène prédit par la mécanique classique et par la relativité générale.
Dans le cadre de la symétrie sphérique, la déviation de la lumière par les trous noirs selon Newton ou Schwarzschild donne cependant des résultats sensiblement différents pour les trajectoires des photons, la relativité générale prédisant notamment des phénomènes inhabituels qui dépendent des positions de l’observateur et de la source lumineuse.
MÉCANIQUE CLASSIQUE – DÉVIATION DE LA LUMIÈRE SELON NEWTON
Avertissement : le photon n’ayant pas de masse, la mécanique classique ne conduit pas aux résultats observés.
En mécanique classique, l’orbite du photon est plane et sa trajectoire est une conique ayant pour foyer le centre de gravité de l’objet massif.
Son équation s’écrit, en prenant la coordonnée radiale inverse \(u={1\over r}\) :
\(u(\varphi)=\frac {R_s}{2b^2}(1+e\cos(\varphi-\varphi_0))\)1
avec : \(R_s=\frac {2GM} {c^2}\), (\(G\) constante gravitationnelle, \(M\) masse de l’objet massif et \(c\) vitesse de la lumière dans le vide),
\(b\) paramètre d’impact (distance perpendiculaire entre la trajectoire du photon qui arrive depuis l’infini et l’axe \(\varphi = 0\),
\(e\) excentricité \(=\sqrt{1+\frac{4b^2}{R_s^2}}\) et \(\varphi_0\) axe de symétrie \(=\arccos\left(-\frac{1}{e}\right)\).
Pour un objet massif donné, la trajectoire du photon est entièrement déterminée par le paramètre d’impact \(b\), et ce principe s’applique à la déviation de la lumière par les trous noirs selon Newton ou Schwarzschild.
Photon arrivant à la vitesse \(c\) depuis l’infini
La vitesse \(v(r)\) du photon est \(c\sqrt{1+\frac{R_s}{r}}\), ce qui montre qu’en mécanique classique la vitesse de la lumière n’est pas un invariant.
Pour un objet massif supposé sphérique de rayon \(R\), si \(b > R\sqrt{1+\frac{R_s}{R}}\) le photon n’impacte pas l’objet massif, sa distance minimale (au périastre) est \(\frac{2b^2}{R_s(1+e)}\), et le photon continue vers l’infini sur une branche d’hyperbole symétrique par rapport à l’axe \(\varphi_0\) avec une déviation angulaire totale de \(2\varphi_0-\pi\).
Avec la valeur limite de \(b\), la déviation maximale est \(2\arccos\left(-\frac{1}{1+\frac{2R}{R_s}}\right)-\pi\) ce qui donne pour le soleil (\(R\odot 6,96342\ 10^8 m\), \(M\odot 1,9891\ 10^{30}kg)\), et avec \(G\) constante gravitationnelle \(6,6743\ 10^{-11}m^3.kg^{-1}.s^{-2}\) et \(c\) vitesse de la lumière dans le vide \(299\ 792 \ 458\ m.s{-1}\), une valeur de \(0,875\) seconde d’arc, et pour un objet massif de la masse du soleil et de rayon \(R_s\) : \(2\arccos\left(-{1\over3}\right)\ -\ \pi\) soit environ \(39^\circ\).
Si \(2b \gg R_s\), la déviation totale \(\simeq {R_s\over b}\left(=\frac{2GM}{c^2b}\right)\).
Pour \(b < R\sqrt{1+\frac{R_s}{R}}\), le photon impacte l’objet massif.
Un observateur placé à la surface d’un objet massif de rayon \(R_s\) et regardant le ciel au-dessus de lui, verrait les étoiles observables dont la hauteur réelle est comprise entre \(90^\circ\) et \(90^\circ- \arccos\left(-{1\over3}\right)\) (\(\simeq -19,5^\circ\)), la « contraction » étant légère pour les hauteurs proches de \(90^\circ\), et un peu plus prononcée pour les hauteurs apparentes proches de \(0^\circ\). Ce phénomène s’applique également aux diamètres apparents des étoiles, qui sont inférieurs aux diamètres réels avec un facteur maximal de contraction de \(4\over 3\) pour la hauteur apparente \(0^\circ\).
Photon émis depuis la surface d’un objet massif sphérique de rayon \(R\)
Si \(c\) est la vitesse du photon à l’émission, sa vitesse \(v(r)\) est \(c\sqrt{1-\frac{R_s}{R}\left(1-\frac{R}{r}\right)}\), qui vaut zéro à l’\(\infty\) si \(R=R_s\).
RELATIVITÉ GÉNÉRALE – DÉVIATION DE LA LUMIÈRE SELON SCHWARZSCHILD
Le déplacement élémentaire du photon est un vecteur de genre lumière et son produit scalaire vaut zéro2 (d’où l’appellation anglaise « null geodesics » pour les trajectoires des photons).
En considérant que le champ gravitationnel est à symétrie sphérique et en appliquant la métrique de Schwarzschild (voir ses limites en conclusion), l’orbite du photon reste dans un plan (\(\theta=\) cte), et le produit scalaire du déplacement élémentaire \((cdt, dr, d\theta, d\varphi)\) s’écrit avec \(d\theta=0\) :
\(-\left(1-\frac{R_s}{r}\right)c^2dt^2 +\left(\frac{1}{1-\frac{R_s}{r}}\right)dr^2+r^2d\varphi^2 = 0\)3.
Les coefficients de la métrique sont indépendants de \(t\) et les composantes de la matrice du tenseur métrique sont diagonales : la géométrie de l’espace-temps de Schwarzschild est donc statique, et par définition à symétrie sphérique.
Note : dans la région asymptotique \(r \gg R_s\), la coordonnée \(r\) s’interprète comme la distance physique entre le photon et le centre de l’objet massif.
L’équation précédente et la conservation de l’énergie et du moment cinétique du photon le long de sa géodésique permettent d’obtenir la trajectoire du photon, par intégration de \(\frac{du}{d\varphi}=\pm\sqrt{R_su^3-u^2+\frac{1}{b^2}}\)4
avec \(u\) coordonnée radiale inverse \(={1\over r}\) et avec :
\(R_s =\) rayon de Schwarzschild \(=\frac{2GM}{c^2}\), (\(G\) constante gravitationnelle, \(M\) masse de l’objet massif et \(c\) vitesse de la lumière dans le vide),
\(b\) paramètre d’impact (distance perpendiculaire entre la trajectoire du photon qui arrive depuis l’infini et l’axe \(\varphi=0\), voir figure ci-dessus).
Pour un objet massif donné et la valeur initiale de \(u\), la trajectoire du photon est entièrement déterminée par le paramètre \(b\) et ce principe s’applique à la déviation de la lumière par les trous noirs selon Newton ou Schwarzschild. La trajectoire prend différentes formes suivant la valeur de \(b\) par rapport à une valeur critique \(b_{crit}=\frac{3\sqrt{3}}{2}R_s\) qui annule le discriminant de \(\left({du\over {d\varphi}}\right)^2\)5.
Précisions sur la méthode de double intégration RK 4.
Photon arrivant depuis l’infini
Paramètre d’impact \(b>b\) critique
Sous la condition que le photon n’impacte pas l’objet massif supposé sphérique de rayon \(R\) soit \(b>b_{lim}=R\sqrt{\frac{1}{1-\frac{R_s}{R}}}\), sa coordonnée radiale \(r\) décroit jusqu’à son minimum (au périastre, annulation de \(\frac{du}{d\varphi}\))
qui vaut \(r_{per}=\frac{2b}{\sqrt{3}}\cos\left({1\over 3}\arccos\left(-\frac{b_{crit}}{b}\right)\right)\)6, et le photon continue vers l’infini sur une trajectoire symétrique
par rapport à l’axe \(\varphi_{per}\) (valeur de \(\varphi\) au périastre) avec une déviation angulaire totale de \(2\int_{r_{per}}^{\infty}\frac{1}{r^2\sqrt{\frac{1}{b^2}-\frac{1}{r^2}(1-\frac{R_s}{R})}}dr-\pi\). Dans le cas où le rayon \(R\) est \(\gg R_s\) puisque \(b>R\), \(b\) est \(\gg R_s\) et un développement limité en \(R_s\over b\) permet d’obtenir une déviation totale \(\simeq\frac{2R_s}{b}\left(=\frac{4GM}{c^2b}\right)\)7, ce qui donne
avec \(b=b_{lim}\), pour le soleil (\(R\odot 6,96342\ 10^8 m\), \(M\odot 1,9891\ 10^{30}kg\)), et avec \(G\) constante gravitationnelle \(6,6743\ 10^{-11}m^3.kg^{-1}.s^{-2}\) et \(c\) vitesse de la lumière dans le vide \(299\ 792 \ 458\ m.s^{-1}\), une valeur de \(1,750\) seconde d’arc.
Note : à la précision de mesure près, les photographies du voisinage du disque solaire prises par Arthur Eddington et son équipe lors de l’éclipse totale sur l’île de Principe le 29 mai 1919 ont confirmé cette valeur (qui vaut 2 fois la valeur de la théorie de la mécanique classique calculée précédemment).
Si l’objet massif est un trou noir, il n’existe pas de valeur mathématique maximale de la déviation : pour \(b\) très proche de \(b_{crit}\), le photon peut effectuer plusieurs tours autour
du trou noir avant de continuer vers l’infini. La valeur physique maximale de la déviation est donc \(\pi\).
Paramètre d’impact \(b=b\) critique
\(du\over d\varphi\) devient nul pour une valeur critique \(r_{crit}={3\over 2}R_s\) et si \(R<{3\over 2}R_s\), le photon se place sur une orbite circulaire instable de rayon \(r_{crit}\) autour de l’objet massif, ce qui signifie qu’un photon ne peut pas « tangenter » un objet massif de rayon \(<r_{crit}\).
Un objet massif de rayon \(<r_{crit}\) est donc entouré par une surface sphérique de photons de coordonnée radiale \(r_{crit}={3\over 2}R_s\left(=\frac{3GM}{c^2}\right)\) provenant par exemple d’étoiles ou de disques d’accrétion, avec paramètre d’impact \(b_{crit}\).
Note : cette sphère ne peut être vue en tant que telle et se réduit pour un observateur placé à la coordonnée radiale \({3\over 2}R_s\) à un anneau lumineux très fin à la hauteur \(0^\circ\)
de l’observateur.
Paramètre d’impact \(b<b\) critique
\(r\) n’a pas de minimum et le photon impacte l’objet massif, sans condition sur la valeur de son rayon \(R\).
Un observateur placé sur l’horizon des évènements d’un trou noir (« surface » immatérielle de coordonnée radiale \(R_s\)) et regardant le ciel au-dessus de lui, verrait toutes les étoiles observables de l’univers dans un disque
de hauteur apparente \(L_{crit}=\arctan\left(\frac{2}{3\sqrt{3}}\right)\) soit \(\simeq 21^\circ\),
la « contraction » étant faible pour les hauteurs élevées (pas de contraction pour \(90^\circ\) apparent), devenant plus forte pour les hauteurs faibles et tendant vers l’infini pour la limite \(L_{crit}\), les photons devant effectuer plusieurs tours autour du trou noir pour s’approcher de cette limite en rentrant dans l’horizon des événements.
Les diamètres apparents des étoiles sont inférieurs aux diamètres réels, et diminuent de plus en plus sensiblement avec la hauteur.
Une étoile située très précisément à la hauteur \(-90^\circ\) c’est-à-dire « derrière » le trou noir sur l’axe passant par son centre et par l’observateur apparaîtra à ce dernier sous la forme de cercles lumineux très fins centrés sur cet axe (« anneaux d’Einstein ») au-dessus d’une hauteur proche de \(L_{crit}\).
Photon émis depuis la coordonnée radiale \(R_s\)
Paramètre d’impact \(b>b\) critique
La coordonnée radiale \(r\) du photon augmente jusqu’à sa valeur maximale (à l’apoastre, annulation de \(\frac{du}{d\varphi}\)) qui vaut \(r_{apo}=\frac{2b}{\sqrt{3}}\cos\left({1\over 3}\arccos\left(-\frac{b_{crit}}{b}\right)+\frac{4\pi}{3}\right)\)8
et le photon continue sur une trajectoire symétrique par rapport à l’axe \(\varphi_{apo}\) (valeur de \(\varphi\) à l’apoastre) puis revient dans l’horizon des évènements.
Paramètre d’impact \(b=b\) critique
Le résultat est identique à celui vu précédemment pour \(b=b_{crit}\) : le photon se place sur une orbite circulaire instable de rayon \(r_{crit}\) autour de l’objet massif (sphère de photons).
Paramètre d’impact \(b<b\) critique
\(r\) n’a pas de maximum et le photon s’éloigne de l’objet massif vers l’infini. Pour \(b\) suffisamment proche de \(b_{crit}\), le photon peut effectuer plusieurs tours autour du trou noir avant de s’échapper vers l’infini.
Dans l’espace-temps de Schwarzschild, une géodésique pouvant être parcourue dans un sens ou dans l’autre, ce cas correspond à celui vu plus haut (fig. D).
Un photon émis depuis l’horizon des évènements d’un trou noir (\(r=R_s\)) peut donc s’en libérer à la condition \(b<b_{crit}\) soit une hauteur d’émission \(L>L_{crit}\).
Apparence d’un trou noir
Par définition, il n’est pas possible de voir un trou noir. Cependant, dans le cas d’un trou noir stellaire avec des disques d’accrétion,
la lumière émise par ces disques suivra
les règles vues ci-dessus et un exemple d’image apparente est donné en figure G.
« Le chapeau » correspond aux photons passant « au-dessus » du trou noir
et « les cheveux et le collier » correspondent aux photons passant « en-dessous ».
Le rayon apparent du trou noir est \(b_{crit}=\frac{3\sqrt{3}}{2}R_s\) puisqu’aucun photon de paramètre d’impact \(b<b_{crit}\) ne peut parvenir à un observateur. L’ombre du trou noir correspond au disque de rayon \(b<b_{crit}\).
CONCLUSION
La déviation de la lumière par les trous noirs selon Newton ou Schwarzschild montre d’une part que la mécanique classique ne permet pas de prédire le comportement des photons placés dans un champ gravitationnel intense créé par un objet massif et d’autre part que dans le cadre de la relativité générale, la métrique et les coordonnées de Schwarzschild sont une première approche avec cependant des limites pour :
– l’étude des cas astrophysiques, la grande majorité des objets étant en rotation et par conséquent non sphériques,
– l’étude des trous noirs eux-mêmes, le rayon de Schwarzschild étant une barrière immatérielle liée au système de coordonnées utilisé,
limites qu’il est possible de dépasser avec la métrique de Kerr et le système de coordonnées d’Eddington-Finkelstein dites 3+1.
En synthèse, la relativité générale explique le mieux à l’heure actuelle les phénomènes observés sur la déviation de la lumière par les objets massifs et les trous noirs, et a mis en évidence d’autres phénomènes tel que le décalage de fréquence de la lumière des étoiles vers le rouge pour un observateur terrestre, l’effet Shapiro (retard de la lumière) qui peut permettre d’estimer la masse de corps célestes situés à de très grandes distances du système solaire, ou encore le décalage d’horloge des satellites qu’il est nécessaire de corriger pour obtenir la précision GPS.
- https://www.physagreg.fr/mecanique-22-forces-centrales.php ↩︎
- https://luth.obspm.fr/~luthier/gourgoulhon/fr/master/relatM2.pdf ↩︎
- https://luth.obspm.fr/~luthier/gourgoulhon/fr/master/relatM2.pdf ↩︎
- https://luth.obspm.fr/~luthier/gourgoulhon/fr/master/relatM2.pdf ↩︎
- https://www.techno-science.net/glossaire-definition/Methode-de-Cardan.html ↩︎
- https://www.techno-science.net/glossaire-definition/Methode-de-Cardan.html ↩︎
- https://luth.obspm.fr/~luthier/gourgoulhon/fr/master/relatM2.pdf ↩︎
- https://www.techno-science.net/glossaire-definition/Methode-de-Cardan.html ↩︎